Les contes et légendes du Pays basque recueillis par Webster
Wentworth Webster (1828-1907)
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Photo : Auñamendi Eusko entziklopedia
En publiant Basque Legends (Londres, Griffih and Farran, 1877) juste après le début de la publication en série des Légendes et récits populaires du Pays basque de Jean-François Cerquand (1816-1888), Wentworth Webster s’est imposé comme l’un des principaux contributeurs du folklorisme basque
Né à Uxbridge, en Angleterre, en 1828, ce prêtre anglican parcourut le monde (Ecosse, Allemagne, Suisse, Açores, Brésil, Argentine, Egypte) avant de s’installer en France comme précepteur, à Bagnères-de-Bigorre d’abord, puis à Biarritz. En 1869 il fut nommé chapelain de la nouvelle église anglicane de Saint-Jean-de-Luz et occupa cette charge jusqu’en 1882, date à laquelle il démissionna et s’installa à Sare dans la maison Bechienia.
Intellectuel reconnu, polyglotte, passionné par le Pays basque et par sa langue, il publia un nombre considérable d’articles en Angleterre, aux Etats-Unis, en France et en Espagne. Il entretenait d’étroites relations avec nombre d’érudits (Louis Lucien Bonaparte, John Riz, Hugo Schuchardt, Julio de Urquijo…) et ce fut sur proposition de l’un d’entre eux – Antoine d’Abbadie – qu’il débuta le recueil des contes et légendes du Pays basque.
Entre 1874 et 1876, inspiré des Popular Tales of the West Highlands que l’écossais John Francis Campbell avait publiés une dizaine d’années plus tôt, et avec l’aide du bascologue Julien Vinson, Webster recueillit les contes et légendes de Saint Jean de Luz et de ses alentours en essayant de respecter au mieux le récit du narrateur, sans le corriger ou l’améliorer.
Il traduisit une partie de sa collecte en anglais et la publia en 1877 à Londres sous le titre Basque Legends.
Julien Vinson (1843-1926)
Photo : Auñamendi Eusko entziklopedia
Son père étant procureur à l’audience de Pondichéry, en Inde, il y passa son enfance au contact de la langue tamoule et y acquit une passion qui le poursuivit toute sa vie : la linguistique.
De retour en France à l’adolescence, pour étudier à l’Ecole forestière de Nancy, avant d’être nommé sous-inspecteur des forêts, puis inspecteur des Eaux et Forêts, notamment à Bayonne, il collabora à plusieurs revues de linguistique, notamment la Revue orientale, puis à la Revue de linguistique et de philologie comparée aux côtés d’Abel Hovelacque ou d’Emile Picot.
Spécialiste des langues orientales – notamment du tamoul – et de la langue basque, Vinson a publié de nombreux ouvrages, dont la première grammaire de la langue tamoule rédigée en français ou un Essai d’une bibliographie de la langue basque (1891) qui reste encore aujourd’hui une référence.
En 1883, il publia dans la collection des Littératures populaires de toutes les nations de Maisonneuve l’ouvrage Le Folk-lore du Pays basque, un recueil de traditions, légendes, contes, chansons, proverbes et superstitions du Pays basque et incluant notamment la première traduction française de certains contes recueillis par Webster.
Le lien entre les deux hommes au travers des manuscrits
L’existence d’une collaboration entre les deux hommes était connue : Webster inclut dans sa publication un chapitre intitulé « Essai sur la langue basque » de Vinson et le remercie dans son introduction (« I had hopped to have joined the name of M. J. Vinson, the well-known Basque and Dravidian scholar, to my own as joint-author of this simple work. »(1)) et Vinson lui dédicace Le Folk-lore du Pays basque tout en minimisant sa propre participation à l’œuvre de Webster (« Although you were so kind as to designate me as a collaborator in your Basque Legends, you know how little I could help you. »(2))
De récentes recherches ont toutefois permis d’approfondir la nature de leur relation. C’est le cas notamment de la thèse de Natalia Mikhaïlovna Zaïka publiée en 2011, intitulée Approche textologique et comparative du conte traditionnel basque dans les versions bilingues de 1873 à 1942 (W. Webster, J.-F. Cerquand, J. Barbier, R. M. de Azkue). L’auteure consacre une partie de son travail à l’étude de deux manuscrits méconnus jusqu’alors et dont nous publions maintenant les versions numérisées.
Le manuscrit de Webster
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Le conte Axeria, version anglaise et version basque, copié de la main de Webster, corrigé par Vinson
Le manuscrit est composé de 3 cahiers reliés et regroupe 87 contes en basque et plusieurs traductions en français et en anglais. Il est postérieur à la publication de Basque legends, probablement préparé pour une hypothétique édition qui ne vit jamais le jour. Il fut laissé à la médiathèque de Bayonne par l’auteur lui-même. Les trois cahiers datent d’époques différentes, et certains contes y sont repris plusieurs fois.
La première page du manuscrit de Vinson
De nombreuses notes accompagnent les contes, retraçant en filigrane les méthodes de collecte de Webster ainsi que le rôle de ses nombreux contributeurs, qu’ils soient conteurs, rapporteurs, traducteurs ou correcteurs.
Vinson est cité à plusieurs reprises comme rapporteur de certains contes, mais il est surtout présent tout au long du manuscrit comme correcteur. Webster avait une connaissance imparfaite de la langue basque (>« I wrote down the Basque phonetically as it sounded to me, not grammatically ; and Mde Belleve (sic) supplied the translations afterwards. I did not understand all the Basque; but I could then follow the general sense of a tale or a conversation » (3) écrivait-il à Julio de Urquijo). C’est donc à son ami Julien Vinson qu’il demanda de l’aide. Ses corrections, qu’elles soient orthographiques ou grammaticales apparaissent tout au long du manuscrit, d’une écriture facilement identifiable
Le manuscrit a été acheté par la Médiathèque de Bayonne en 2005. Il contient 87 contes, dont 84 tirés du manuscrit de Webster. D’après Mme Zaïka, il « est très soigné, il s’agit probablement de la dernière rédaction prête pour la publication ». Elle remarque également de nombreuses variantes avec les textes de Webster, notamment des corrections grammaticales, des changements de graphie, mais également la suppression du ‘r’ intervocalique (« errepustarik » devient « errepustaik », « hura » devient hua »), ou un marquage des consonnes aspirées (« deithua », « artho », « ikhusten »…)
Il semble que ce manuscrit soit la base qui ait permis à Vinson de traduire en français (directement depuis la version basque, et sans s’appuyer sur les traductions du manuscrit de Webster) les contes pour les publier dans Le Folk-lore du Pays basque.
Il est à noter qu’en étudiant attentivement les niveaux de correction des différents textes, ainsi que certains passages manquants, Mme Zaïka a pu déterminer un cheminement pour la plupart des contes de ces recueils :
• la première version est de Webster (deuxième et troisième cahiers) ;
• Vinson corrige directement sur le manuscrit les erreurs influant sur la compréhension du texte et recopie sur son propre manuscrit les contes qui l’intéressent en poussant la correction plus loin ;
• Webster recopie dans son premier cahier la version de Vinson.
Après ces allers-retours, les deux auteurs disposent d’une version en langue basque prête à être publiée. On ignore si publier la version originelle des contes en langue basque faisait partie de leurs intentions ou si l’objectif était de porter à la connaissance des publics non bascophones cette culture orale. En tout cas, cela ne se fera pas de leur vivant. Il faudra même attendre plus d’un siècle pour que Xipri Arbelbide publie (en 1993) Euskal Ipuinak I et II, la première traduction en langue basque de Basque Legends de Webster.
L’un des manuscrits contient également une lettre de Vinson à Webster, probablement écrite en 1877, lorsqu’aucun des deux manuscrits n’était achevé, et qui reprend quelques erreurs linguistiques récurrentes de Webster. Il en corrigera certaines dans ses derniers contes, pas toutes…
Les manuscrits en ligne :
• Manuscrit de Webster : Légendes et contes recueillis par Webster : http://gordailu.bilketa.eus/notice.php?q=id:196115
• Manuscrit de Vinson : Contes populaires basques recueillis de 1874 à 1877 principalement par W. Webster : http://gordailu.bilketa.eus/notice.php?q=id:196120
• La lettre de Vinson à Webster : http://gordailu.bilketa.eus/notice.php?q=id:196116
Bibliographie
•Les principales publications de Wentworth Webster :
◦Basque Legends, Londres, Griffith and Farran, 1877.
◦Spain, Collection Foreign Countries and British Colonies, Simpson Low, Londres, 1882
Grammaire cantabrique basque par Pierre d'Urte (1712), publiée par Wentworth Webster, Bagnères-de-Bigorre, 1900
◦Les Loisirs d'un étranger au Pays basque, Châlons-sur-Saöne, Imprimerie française et orientale E. Bertrand, 1901.
• Les principales publications de Julien Vinson :
◦ La science du langage et la langue basque, Maisonneuve & Cie, 1975
◦ Manuel de la langue hindoustani (urdǔ et hindî), J. Maisonneuve, 1899
◦ Manuel de la langue tamoule (grammaire, textes, vocabulaire), Imprimerie nationale, E. Leroux, éditeur, 1903
◦ Essai d'une bibliographie de la langue basque, J. Maisonneuve, 1891
◦ Les Basques et le pays basque, mœurs, langage et histoire, L. Cerf, 1882
◦ Le folk-lore du pays basque, Paris, Maisonneuve, 1883.
• La thèse de Natalia Mikhaïlovna Zaïka :
◦ Approche textologique et comparative du conte traditionnel basque dans les versions bilingues de 1873 à 1942 (W. Webster, J.-F. Cerquand, J.Barbier, R. M. de Azkue), 2011
• Recueils de contes et légendes :
◦Légendes et récits populaires du Pays basque, de Jean François Cerquand (Bulletin de la Société des sciences, lettres et art de Pau, 1875-1882)
◦ Basque Legends, de Wentworth Webster (Londres, Griffith and Farran, 1879)
◦ Euskaleriaren yakintza : (Literatura popular del País Vasco), de Résureccion Maria de Azkue (Madrid, Espasa-Calpe, 1935-1947)
◦ Légendes du Pays Basque de Jean barbier (Paris, Delagrave, 1931)
◦ Euskal Ipuinak I eta II de Xipri Arbelbide (Zarautz, Euskal editorren elkartea, 1993)
(1) « J’aurais souhaité joindre le nom de M.J. Vinson, le savant basque et dravidien bien connu, à mon propre nom comme co-auteur de cet humble ouvrage ».
(2) « Vous avez été bien aimable de me désigner comme collaborateur dans votre Basque Legends, alors que je ne vous ai que bien peu aidé ».
(3) « Je transcrivais le Basque phonétiquement comme je l’entendais et non grammaticalement ; Et Mme Belleve (sic) fournissait les traductions ensuite. Je ne comprenais pas tout le basque ; mais je pouvais suivre le sens général d’un conte ou d’une conversation ».
Source : www.bilketa.eus